Gilles Barges ...........................Home studio QUINCY






Bonjour Gilles, peux-tu te présenter ? Comment as tu découvert l’informatique, notamment le monde Atari ?


 Bonjour, j’ai 63 ans. J’ai une formation d’ingénieur et j’ai découvert la programmation, en FORTRAN sur des cartes perforées, en 1975.

En 1980, je travaillais, et ma boîte  a acheté un Apple II, qui venait de sortir, avec des cartes d’entrées sorties analogiques pour aller faire des mesures à bord des bateaux. J’ai découvert la vraie informatique : les 0 et les 1, l’assembleur 6502… J’ai vite compris que c’était ça, mon truc.

Enfin, pas que. Je suis aussi musicien amateur. En 1984, j’ai plongé dans la MAO (8bits). J’ai acheté d’un coup un Commodore 64, un synthé et une boîte à rythme MIDI. J’ai créé mes premières séquences, mais comme le logiciel fourni était pauvre, je l’ai amélioré. J’ai passé des nuits à faire de la rétro-ingénierie sur le listing en assembleur du programme et je lui ai ajouté plein de fonctions. Il y avait un magasin « Commodore » à Aix-en-Provence, j'y suis allé acheter une souris … juste la souris (et le fil), aucun driver. Le driver, j'ai du l’écrire !

Bon, ça c’était la préhistoire. Vers 1989, un ami a acheté un 1040STF, je l'ai vu, j’ai dit : il m’en faut un. Avec le MIDI intégré, wow ! J’ai fait plein de musique - en MIDI seulement, avec un synthé externe et Pro24 ou Cubase piratés (j'ai depuis complètement changé d'avis sur le piratage).

J’ai aussi commencé à programmer. En GFA-Basic, j’ai fait des éditeurs pour synthés externes : le Roland GR50 (synthé guitare), le U-110 (multitimbral), d’autres… Finalement, j’ai publié un shareware, nommé SC55-Pilote, qui est un éditeur pour le synthé Roland SC55. J’ai appris le C sur ce ST, ainsi que l’assembleur 68000. A mon travail, on en était encore au FORTRAN...

Et comment en est-tu venu à produire QUiNCY ? N'y avait-il pas assez d’enregistreurs audio sur Falcon ?


Quand le Falcon est sorti, j'en ai rapidement pris un (7990 Frs). J'ai d'abord programmé un player audio avec visualisation des courbes du signal, pas vraiment utile, mais j'apprenais. Depuis des années j'avais un magnétophone 4 pistes sur cassettes, avec une mini table de mixage intégrée. C'était ça que je voulais réaliser.


A cette époque il y avait Cubase Audio, la référence. D'autres softs aussi comme Studio-Son, DigiTape, FD2D... Mais peu importe : je n'ai pas écrit QUiNCY pour l'utiliser moi-même. D'ailleurs je n'ai quasiment pas fait de musique pendant le développement, too busy ! Je l'ai écrit pour le plaisir de programmer, de construire un château. Je me suis lancé comme un défi personnel.


Au début, ça se présentait bien, il y avait encore le support Atari. Je me suis enregistré comme développeur, ce qui m'a donné accès à plein des documents, bouquins assez utiles. Il y avait même un support téléphonique assuré par la société Brainstorm. On est là en 93/94. J'ai aussi dû faire un maximum de rétro-ingénierie, j'ai désassemblé les softs existants pour voir comment ils s'y prenaient. J'avais fait un programme espion qui traçait tous leurs appels XBIOS, plutôt chaud. Passaient les nuits, les WE, les vacances, QUiNCY prenait vie petit à petit. Et un jour de 95, enfin, il fut prêt – enfin, présentable.


Tu as donc créé Quincy seul ? As-tu eu un musicos ou un groupe complet pour tester le logiciel ?



Tout seul, oui. Il n'y avait pas Internet, c'était difficile de trouver de la documentation, de correspondre avec d'autres développeurs. 


J'ai même eu des bâtons dans les roues. Mon premier éditeur, Concept Informatique, proposait aussi un upgrade du Falcon, une accélération du processeur, je ne sais plus. Je leur amène mon Falcon, le gars soude et dessoude des trucs sur la carte-mère et finalement ça ne marche pas. Il enlève tout. Sauf qu'au passage, il a cramé un truc quelque part, un truc bien vicieux qui met la panique sans se faire repérer.


J'ai commencé à avoir des "spurious interrupts", des interruptions pour cause inconnue. Au début, j'ai pensé que c'était à cause de QUiNCY qui surchargeait trop le processeur sous interruption. Ne trouvant pas la cause dans mon soft, et devant avancer, j'ai pris la décision de le modifier en étant moins exigeant. Au départ je voulais que, lors de l'enregistrement d'une voie, on entende la voie passée à travers de la table, avec son volume, son panoramique et surtout ses effets. Un truc superbe. Ça fonctionnait, mais  j'ai du changer à cause des plantages, et la phase d'enregistrement dans QUiNCY n'est pas vraiment satisfaisante (on entend le son brut, et d'un seul côté). J'ai compris plus tard que le problème venait du bricolage du Falcon, j'ai même du faire réparer ma carte-mère, mais QUiNCY est resté avec cette solution de secours. J'en pleure encore aujourd'hui :-)


Etant moi-même musicien, je savais ce que le programme devait faire. Mon second éditeur, Parx, connaissait un studio d'enregistrement, il leur a demandé de tester QUiNCY. J'ai eu des remarques d'ergonomie, pas grand chose sur les fonctionnalités. Si ce n'est que le testeur attendait plutôt un soft de montage audio, ce que QUiNCY n'est pas. QUiNCY est destiné au musicien amateur qui se monte un home-studio, pour faire de la musique, pas du son.


Modification de la carte mère ouch !! Méchante aventure :-)

QUiNCY est réalisé sous quel langage ? En C, en assembleur ? Est-ce que tes sources sont accessibles ?


J'ai acheté Pure-C, toute la doc était en allemand. J'ai même acheté une traductrice de poche ! Fallait en vouloir... Les routines critiques (opérations sur l'audio, accès SCSI...) sont en assembleur 68030, ainsi que la plupart du code exécuté sous interruption, le jeu d'un MIDIfile par exemple. Il y a aussi le code DSP, ce fut un gros morceau, il a fallu commencer par assimiler les docs de la bête, puis la programmation. Il a fallu aussi mettre au point les algos de reverb, chorus...


Les sources sont peut-être publiques… je m'explique. En 2012, un gars impliqué dans le projet FireBee (un clone Atari modernisé) m'a contacté. Il voulait porter QUiNCY sur cette bécane. A l'époque, QUiNCY était déjà plus que mourant, j'ai dit ok (prédisant que ce serait ... chaud chaud chaud) , je lui ai passé les sources, pour qu'il les mette en open source GPL. Très rapidement le gars a disparu ! Je ne sais pas ce qu'il en a fait. Il a probablement jeté l'éponge !


Comment s’est passée l’édition du logiciel ? L’as-tu bien vendu ?


Quand QUiNCY fut bien avancé - mais loin d'être fini, je suis allé à un salon ATARI à Paris (je vis vers Aix-en-Provence) avec ma disquette en poche, pour trouver un éditeur. J'ai fait affaire avec Concept Informatique, une boîte installée à Juan-les-Pins, presque des voisins.


J'ai continué à finir le soft, j'attendais un peu d'aide de la part de Concept, des tests poussés en particulier, mais ... rien, ou si peu. En plus ils m'ont cassé mon Falcon, comme j'ai déjà raconté. Au bout de 6 mois, j'étais gonflé, j'ai insisté pour rompre le contrat et ça c'est fait.


Je suis allé à un second salon ATARI, toujours avec ma disquette. J'ai fait affaire avec la société Parx. Ce fut beaucoup mieux. J'ai eu de l'aide, des tests, des docs... Mi 96, QUiNCY 1 est sorti. Je suis allé à un troisième salon (le dernier), en voiture ce coup-ci avec mon Falcon et une petite sono ! J'ai passé la journée à faire des démos, répondre aux questions de passionnés, dont pas mal ont craqué pour la bête à prix salon ! J'ai passé plusieurs soirées resto mémorables avec les gars de Parx, Hervé, Pierre-Louis … Je les salue.


Les 3 premiers trimestres, Parx en vendait quelques dizaines. Vendu 990 F TTC, 1/4 allait à l'Etat (TVA), 1/4 au revendeur, 1/4 à Parx et 1/4 à moi, à peu-près. Puis ça a chuté.


J'ai sorti la version 1.5, puis il y a eu de fortes dissensions au sein de Parx, qui a décidé de fermer. Je suis passé chez La Terre du Milieu, éditeur de ST Magazine. QUiNCY 2 est sorti chez eux, amenant l'automatisation des réglages. Entre-temps, la situation d'ATARI était en chute libre. La TdM ne m'a jamais payé un seul exemplaire :-((


J'ai décidé de passer QUiNCY en shareware, à 200 F pièce. C'est la version 3. Il y eu des acquéreurs, surpris de baisse prix (pour moi c'était presque pareil !). Au bout de pas mal d'années, j'ai décidé de fournir la clé d'enregistrement gratuitement. Au final, j'ai du ramasser environ 25000 F. Ça ne paye même pas le matériel investi : le Falcon, un écran 17", plusieurs disques dur, le lecteur CD, un lecteur de cartouche 270 MO pour sauvegarder, plein de logiciels... 


Et après l’aventure QUiNCY? As-tu continué à programmer sur Falcon ? Ou es-tu passé à autre chose ?



J'ai complètement abandonné ATARI, assez vite. La dernière version de QUiNCY remonte à 1999, après cela, rien n'a bougé. En 97 j'avais acheté un Mac, ainsi que MagicMac qui émulait très bien un ATARI – mais pas un Falcon.


J'ai aussi découvert BeOS, un OS extraordinaire, hyper véloce, livré avec outils de développement, interface système tout en C++, un rêve ! J'ai fortement investi dans cet environnement, j'ai commencé un QUiNCY BeOS (24 pistes !). Malheureusement, j'ai revécu la même fin amère qu'avec Atari. La société Be Inc. a fermé après quelques années.


Après cela, j'ai continué à programmer intensément en C++, à mon boulot, chez moi. J'ai installé des multitudes de Linux, je suis un Unixien convaicu : même sur mon Mac j'utilise souvent le terminal et la ligne de commande ! Depuis quelques temps je fais des applications domotiques, basées sur des cartes Arduino ou Raspberry Pi : surveillance video, régulation de la serre... Je suis à la retraite, je m'occupe !


QUiNCY fut une belle aventure, même si le coup de poignard dans le dos d'Atari Corp laisse un goût très amer. J'ai dit que j'allais le faire et je l'ai fait. Je sais ce que je vaux. Ça m'a aidé ensuite, j'ai cherché un travail dans l'informatique pure et dure, je l'ai trouvé et je l'ai aimé.


Merci de m'avoir posé ces questions, ça m'a replongé dans une autre époque, une époque me semble-t-il bien plus facile à vivre qu'aujourd'hui. Et longue vie (après la mort) à ATARI !



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